TRIBUNE. Non l’islam n’est pas voué à l’obscurantisme ! Il peut se réformer pour faire la part belle aux sciences et à l’évolution des moeurs.
PAR FÉLIX MARQUARDT, GHALEB BENCHEIKH, ADNAN IBRAHIM, ASMA LAMRABET ET MOHAMED BAJRAFIL (*)
À chaque nouveau massacre, chaque destruction d’oeuvre d’art millénaire, perpétrés au nom de l’islam, ce dernier devient associé un peu plus à un archaïsme qui finit par lui paraître consubstantiel. C’est malheureux, mais, à l’aune de la barbarie dont font preuve tant d’individus, d’organisations et de gouvernements se réclamant de notre religion, tristement compréhensible. Nul besoin d’aller aussi loin, d’ailleurs, dans la géographie ou l’extrémisme, pour trouver des raisons à cette association infamante dans la conscience collective contemporaine. La vaste majorité des mosquées de la planète, y compris les plus ouvertes d’Europe, continuent à reproduire certaines idées obsolètes et imposent encore aux femmes qui souhaitent venir y prier ou assister à des cours une ségrégation spatiale absurde, indigne et dégradante.
De nos jours, faute de contre-exemples, seuls les plus érudits peuvent saisir pleinement l’affligeante ironie de cette situation. Le conservatisme qu’on assimile de nos jours à l’islam remonte en réalité, en partie, à des pratiques bédouines ante-islamiques que le prophète Muhammad a passé sa vie à affronter, mais également à des pratiques imputables aux cultures locales que l’on considère à tort comme une partie intégrante de la religion islamique. Bien au contraire, ce qui caractérise la révélation coranique, c’est bien son caractère innovant dans un souffle spirituel, éthique et épique à dire vrai très peu normatif et prescriptif.
Mettre l’accent sur les avancées technologiques et scientifiques
Il est temps que la tradition islamique renoue avec cet esprit d’innovation originel qui lui est en réalité intrinsèque. Pour cela, il nous faut reconnaître que nous sommes devenus obnubilés par les épiphénomènes (d’ordre alimentaire, vestimentaire, etc.) de notre religion en trivialisant chaque jour un peu plus les finalités de cette dernière.
Notre infortune trouve sa racine précisément dans cette confusion qui existe chez nombre d’entre nous entre finalités et moyens ; confusion qui tient elle-même à notre incapacité collective à maintenir la convergence initiale entre foi et éthique, la base même d’une conscience saine, ce qu’on nomme spiritualité. La religion sans morale n’a pas de sens. Dépourvue de sens, elle devient futile.
Pour qu’une réforme islamique digne de ce nom puisse émerger au XXIe siècle, il s’agit donc non pas de transformer, de réinventer, de réécrire mais bien de nous recentrer sur une saine et intelligente compréhension de la révélation afin de renouer avec lesdites finalités :
– L’appel à la connaissance, à l’acquisition de la science et à la maîtrise du savoir avec une inclination pour les valeurs esthétiques et le beau. Il est temps de remettre le développement de la raison au coeur de notre démarche et de mettre l’accent sur les avancées technologiques, scientifiques et intellectuelles qui permettent la survie et stimulent l’avancement de l’espèce humaine.
– La primauté des principes de liberté fondamentale, de justice sociale et de respect du droit. La priorité des priorités est un recentrage sur l’humain. Et la priorité de l’humain, la liberté. Selon l’esprit éclairé de la civilisation islamique, civilisation impériale à l’architecture palatiale, le monde est un champ des possibles qui donne toute sa place à la liberté, à la créativité sous toutes ses formes, à la production intellectuelle et culturelle et non un monde étriqué. La binarité entre halal et haram dans laquelle baigne la pratique de l’islam contemporain est profondément contraire à cet esprit. L’appauvrissement structurel de la pensée islamique et l’absence du recours tant élémentaire que salutaire à l’ijtihad, soit l’effort personnel d’interprétation, sont directement reliés au manque de liberté qu’on constate dans les sociétés à majorité musulmane.
Le respect et la célébration de la vie
– L’ouverture au monde et à l’altérité, notamment confessionnelle. Il est proprement aberrant que de nos jours l’université dans le monde islamique ne donne pas aux étudiants une formation solide à la connaissance des fondements des autres traditions religieuses.
– Le respect et la célébration de la vie. Il est temps de remplacer la sacralisation et le culte du morbide omniprésents dans bon nombre de sociétés à majorité musulmane par une biophilie saine et salutaire.
– L’égalité entre hommes et femmes qui nous impose de rompre avec la phallocratie maladive qui caractérise nos sociétés afin que les femmes reprennent la place qui leur est due dans la Cité et d’en finir avec la discrimination et la marginalisation religieuses et sociales dont les femmes sont victimes.
En tant que cofondateurs du Forum mondial pour une réforme islamique, nous nous fixons donc trois objectifs majeurs :
1. Réunir des musulmans démocrates et réformistes du monde entier en faisant la part belle en particulier à l’islam d’Asie pour des raisons élémentaires de représentativité démocratique, mais également aux musulmans d’Afrique, d’Europe et des Amériques.
2. Offrir aux musulmans du monde entier un point de référence leur permettant de faire la part entre ce qui relève de la sphère religieuse – ce qu’ils ont tous en commun dans leur compréhension et leur pratique de l’islam – et ce qui relève de la sphère culturelle – ce qui diffère d’une contrée à une autre et d’une époque à une autre.
3. Élaborer tous ensemble une charte reflétant les principes énoncés ci-dessus afin que les mosquées et les institutions islamiques du monde entier soient à même de l’adopter et de s’en réclamer ouvertement.
Le chemin sera long, mais notre détermination sans faille.
Ghaleb Bencheikh, Adnan Ibrahim, AsGhaleb Bencheikh, Adnan Ibrahim, Asma Lamrabet, Mohamed Bajrafilma Lamrabet, Mohamed Bajrafil et Félix Marquardt sont les cofondateurs du Forum mondial pour une réforme islamique (Al-Kawakibi.com), dont la première réunion aura lieu à Paris en 2016.
Ghaleb Bencheikh est théologien, docteur en sciences et physicien. Il préside la Conférence mondiale des religions pour la paix.
Asma Lamrabet est directrice du Centre des études féminines en islam au sein de la Rabita Mohammadia des ulémas du Maroc.
Adnan Ibrahim est imam de la mosquée Al Shura de vienne (Autriche), théologien et professeur de philosophie à l’université de Vienne.
Félix Marquardt, anciennement directeur de la communication de l’internationalHerald Tribune, est expert en relations internationales et éditorialiste.
Mohamed Bajrafil est l’imam de la mosquée d’Ivry-sur-Seine, linguiste et professeur de français.
Source: Le point
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