Autriche. Avec ses prêches pro- gressistes, Adnan Ibrahim s’est fait un nom sur le Web. DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL À VIENNE, ARMIN AREFI
Peu de Viennois connaissent ce curieux bâtiment perduau milieu du quartier des affaires de Leopoldstadt. En façade, des photos de La Mecque. En vitrine, un ouvrage intitulé «33 leçons pour les femmes musulmanes». Les visiteurs sont invités à déposer leurs souliers avant de pénétrer dans un vaste salon. Costume gris, cravate bleue, barbe taillée au millimètre, un homme d’environ 50 ans s’agenouille imité par une demi-douzaine defidèles. L’imam Adnan Ibrahim vient de prononcer la prière. «Le cheikh [«savant, sage» en arabe, NDLR] Adnan n’est pas un imam de mosquée, mais un philosophe, lance d’emblée Faouzi Teboulbi, ancien commerçant devenu l’un des responsables de la mosquée. Il propose une nouvelle vie pour les musulmans, pas l’islam d’il y a mille quatre cents ans.» Chaque vendredi, Adnan Ibrahim brise les tabous dans sa mosquée baptisée AlShoura (le Conseil). Double jeu des pays du Golfe, ambiguïté de l’islam politique, relations sexuelles avant le mariage, aucun sujet n’est laissé de côté. Ses prêches diffusés sur YouTube attirent des milliers de curieux. Et s’il n’a pas l’aura du cheikh ultra conservateur Youssef al-Qaradawi, star de la chaîne Al-Jazeera, Adnan Ibrahim commence à se faire un nom. Le 9 janvier, après les attaques terroristes de Paris, l’imam s’est livré à une analyse inattendue de l’islam et de ses dérives: « Toutes les agressions commises par les musulmans dans le monde trouvent leurs racines dans des écritures faisant référence à l’islam.» Debout dans son minbar (chaire), le «gentle imam» entame sa démonstration:
«Il y a trop de dignitaires religieux. Chacun peut bricoler sa propre religion. »
«Il existe bien des textes issus de l’héritage islamique stipulant que celui qui injurie le Prophète peut être tué. Mais ils ne s’appliquent en aucun cas aux pays non musulmans. Quant au Coran, il invite à pardonner.» Adnan Ibrahim n’a pas oublié ses premiers pas dans une mosquée salafiste, à son arrivée en Autriche en 1991. Effaré par le discours rétrograde de l’imam, il l’interpelle et se fait éconduire. «Il y a aujourd’hui trop de dignitaires religieux. La référence a perdu tout son sens et chacun peut bricoler sa propre religion», s’insurge-t-il. Dès le lendemain, Adnan Ibrahim est invité à prononcer le prêche dans une mosquée plus modérée, Il ne la quittera plus. Impressionnés par son aisance et sa connaissance parfaite du texte, les fidèles l’élisent sur-le-champ imam.
Menacé, Né en 1966 dans un camp de réfugiés de Gaza, Adnan Ibrahim a fui à 19 ans l’enclave palestinienne pour la Yougoslavie et s’est inscrit en faculté de médecine. Avec la guerre des Balkans, il poursuit son périple en Autriche, où il achève ses études de médecine et s’inscrit en parallèle dans une faculté de théologie au Liban. «Le religieux et le scientifique vont de pair», assure-t-il. Le docteur Adnan invite même dans ses prêches Darwin et sa théorie de l’évolution. «Elle contient beaucoup de faits véridiques, affirme-t-il. Les religieux ont toujours insisté sur le fait que Dieu a créé l’homme d’un coup de baguette magique. Or c’est faux. » Progressiste, l’imam a cependant prononcé une fatwa il y a une dizaine d’années contre les mariages mixtes entre musulmans et chrétiens, pourtant autorisés par le Coran. Il répond sans sourciller: «J’ai constaté que ces unions entraînaient beaucoup de catastrophes familiales. Mais j’ai changé d’avis et réalisé qu’elles favorisaient le rapprochement des communautés. » Les critiques les plus virulentes viennent de la communauté musulmane. Menacé de mort par des salafistes, persona non grata à Gaza, Adnan Ibrahim reste serein. «La communauté est prête à accepter cette nouvelle approche de modernité. Chacun de mes prêches est consulté par 30 000 à 40 000 personnes. »
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